Témoignage paru dans le "Poivron"
Le témoignage d’une famille régularisée au titre des enfants scolarisés
"on existait vraiment"
«Nous donnons une suite favorable à votre demande de régularisation…
vous recevrez votre premier titre de séjour début novembre… Le 18
octobre est prévue une visite médicale et une réunion (sans les
enfants) pour signer le contrat d’intégration»
Voici le
contenu de la lettre de la préfecture, une lettre tant attendue,
espérée par tant de familles, et faite à la famille F., montreuilloise
depuis 5 ans, algérienne, avec deux enfants scolarisés à l’école
élémentaire (7 et 10 ans).
Peu de temps avant, Sarkozy avait
annoncé le nombre de familles régularisées au niveau national : 6924.
Pour aller au-delà des chiffres, et pour avoir soutenu cette famille en
tant que marraine RESF, j’ai voulu savoir qu’elle avait été son
cheminement pour arriver à sa régularisation et comment elle vivait
aujourd’hui cet événement.
Chamia F. m’a donc raconté un petit bout de son histoire.
Cela
a commencé au détour d’un chemin…. «un samedi, par hasard je suis
passée devant la maison des associations où avait lieu une permanence
des sans-papiers». Chamia a fait part à une membre du collectif des
sans-papiers du refus de sa demande d’asile territorial en juin 2003 et
de la malhonnêteté d’un «médiateur» qui leur avait demandé 3 000
euros pour monter un dossier de demande d’embauche pour son mari,
infirmier urgentiste de formation. Comme cela arrive bien souvent, ils
n’ont jamais vu le dossier, ni revu le soi-disant médiateur. Lors de
cette permanence, on l’a informée qu’une réunion avec le réseau RESF
aurait lieu dans quelques jours. «J’ai décidé d’y aller, je voulais
tout savoir, j’étais curieuse de connaître comment ça fonctionnait…cela
faisait 4 ans 1/2 que nous ne faisions rien, c’était trop !» Elle a
ainsi rencontré les membres de RESF qui mettaient en place avec le
conseil général le premier parrainage de familles sans papiers en
Seine-Saint-Denis. C’est là que j’ai fait sa connaissance et décidé de
parrainer sa famille. "Ce parrainage était un peu vague pour moi, je ne
me rendais pas compte de ce que ça représentait… Mais à Bobigny quelle
surprise de voir autant de gens connus, moins connus… c’était ÉNORME.
Je me suis vraiment rendue compte de la mobilisation, que nous n’étions
plus tout seuls ! Je me suis sentie pour la première fois entourée,
plus tranquille car « ma famille était non-expulsable» au moins
pendant le temps de la procédure… et enfin un grand espoir pour mes
enfants qu’enfin ça change !…".
Chamia a déposé un dossier avec
RESF à la préfecture, fin juillet, avec 47 autres familles et a été
reçue avec elles à la préfecture le 7 août. Ses enfants ont pu partir
18 jours en colonie de vacances avec la ville de Montreuil,
gratuitement, pour qu’ils soient tranquilles. Paradoxalement, elle-même
a vécu cette période «comme un enfer». Si ses enfants et son mari, qui
s’occupait d’eux lorsqu’elle faisait toutes les démarches, étaient
contents, elle a vécu ce départ en colonie comme une séparation : «bien
sûr, j’étais rassurée, mais en même temps, pour la première fois,
j’étais séparée d’eux, la pire de mes angoisses».
Puis arrive la
rentrée scolaire et la relative tranquillité prend fin avec l’attente
de la réponse de la préfecture qui devient de plus en plus pesante :
«on nous avait dit que nous aurions une réponse début septembre. Tous
les jours je guettais le courrier. En plus, il y avait tous les jours
des informations qui circulaient, des «rumeurs» sur les quotas… C’était
très pénible, très dur… et puis des réponses sont arrivées au compte
goutte, négatives, positives… Un soir en rentrant chez ma belle-sœur
(de nationalité française…), où nous habitons, j’ai vu encadrée dans le
hall la lettre ! Je l’ai lue, lue et relue. Je n’arrivais pas à y
croire. Mon aîné (10 ans) a pleuré…. Nous nous sommes mis tout de suite
à faire des projets d’avenir pour les enfants, pour nous, … tout d’un
coup on existait vraiment».
Mais après quelques jours, à cette
euphorie a fait suite une culpabilité quand Chamia a appris que des
familles comme la sienne avaient reçu une réponse négative. Elle
n’osait plus décrocher le téléphone «par tristesse… pourquoi moi
et pas eux….c’est pour ça que je veux continuer, je ne baisse pas les
bras pour les autres qui n’ont pas eu ma chance. Si on a besoin de moi,
je suis là. Je parle l’arabe et le français, je peux aider des
familles».
Aujourd’hui, une quarantaine de recours ont été déposés…
Ce n’est pas fini, il reste encore trop à faire : nous avons besoin de
tout le monde !
Anne-Marie Heugas